- Eh bien, toute ma doctrine se résume aux deux notions de charité et de justice, dit Confucius.
- Voudriez-vous dire que la bonté et la justice sont le fond de la nature humaine ?- C'est cela, dit Confucius. Le sage ne peut s'accomplir sans la bonté ni vivre en dehors de la justice. Oui, la bonté et la justice forment la nature innée de l'homme, dont il ne saurait s'écarter.
- En quoi consistent-elles ?- Avoir à cœur le bonheur des hommes et les aimer tous également avec altruisme. Voilà ce que sont la charité et la justice dans leur essence.
- Ah ! dit Lao Tseu, voilà qui me paraît tiré par les cheveux ! Votre amour universel est par trop alambiqué. Au demeurant l'altruisme ne peut mener qu'à l'égoïsme. Vous voulez que l'empire ne soit pas privé de guide ? Mais regardez : le ciel et la terre perdurent, le soleil et la lune éclairent, étoiles et planètes suivent leurs orbites, les quadrupèdes s'assemblent en troupeaux et les arbres poussent droit ; contentez-vous de laisser agir la vertu de chacun et de vous conformer au fonctionnement des choses. Pourquoi vous cramponnez-vous à toute force à la charité et à la justice ? On dirait un général battant le rappel de ses troupes en fuite ! Vous ne faites que semer le trouble dans la nature humaine.
Extrait des Œuvres de Maître Tchouang (traduction Jean Lévi, 2006), page 111.
7 commentaires:
J'ai toujours pensé que Confucius était un sale con. Je cours chercher ma voie !
Dans ce livre Confucius se fait pas mal taper dessus et tourner en ridicule...
Tiens, j'ai pourtant bien vu le nom de Confucius dans la frise du bureau de réception du Cato Institute...
Au fond : je ne comprends pas comment Laure tire de ce dialogue le titre de son post. Il y a beaucoup de raisons à mon étonnement. En voici une ou deux.
1°) Confucius peut bien avoir la conception de la vertu qu'il veut. Comme l'explique Hayek (oui, je sais, ce n'est pas un libertarien !) nous devons chérir la liberté parce qu'elle est la seule condition de la prospérité humaine dans l'ordre étendu. Une fois qu'un droit et des institutions de liberté sont posés, libre à chacun de trouver les principes de sa vie morale. Ceux de Confucius s'il veut.
2°) L'affirmation de Confucius permet pas de supposer qu'il soutient la théorie des deux glaives (le pouvoir séculier met en application les édits du pouvoir religieux). Certes il compte beaucoup sur la vertu du prince, ce qui n'est pas un signe de modernité. Mais peut-être est-ce simplement dans l'espoir que les autres hommes l'imitent et que par là les idées de Confucius se diffusent ? (OK, pure conjecture, dans l'état de mes connaissances des idées de Confucius).
Tout ça pour suggérer que Laure nous a habitué à un sens plus aigu de la bienveillance...
Mon titre est évidemment schématique, approximatif et outrageusement anachronique. Je souhaitais trouver une illustration de l'antinomie entre interventionnisme et "laissez faire" ; je ne sais pas si transposer cela en antinomie entre confucianisme et taoisme était très adéquat.
Je sais bien que tirer des conclusions modernes à partir de textes datant de 2500 ans est hasardeux, d'autant plus que je connais assez mal le confucianisme (et mieux le taoisme). Il y a cependant dans le confucianisme des choses qui choquent quelque peu un libertarien :
"S'immoler soi-même pour le bien du monde, voilà qui est bien agir."
"Le prince ne doit pas craindre de n'avoir pas une population nombreuse, mais de ne pas avoir une juste répartition des biens."
Cela dit, je n'irais pas jusqu'à considérer Confucius comme un non libéral (ni Lao Tseu comme un libéral, d'ailleurs). En revanche, le "non agir" des taoistes me convient bien.
"Dans ce livre Confucius se fait pas mal taper dessus et tourner en ridicule"
A juste raison. Confucius donne beaucoup, beaucoup trop d'importance à la soumission à l'ordre établi car il part du principe que l'ordre établi était juste à l'origine (l'Age d'Or). Et quand il ne l'est plus, hein? Confucius l'a "in ze baba."
Lao Tseu, c'est autre chose. C'est un individualiste. Forcené, dirais-je même.
@adalbert: "Confucius peut bien avoir la conception de la vertu qu'il veut."
Non, justement, la notion de Tê (dé en pinyin) a été traduite par "vertu." Elle n'a rien à voir avec. Et cette notion de Tê est commune à tous les philosophes chinois.
La "vertu" (tê) de l'arbre c'est de pousser, de faire des feuilles, des fruits, de l'ombre. Autrement dit, c'est la nature intrinsèque, c'est l'instinct (si l'on peut parler d'instinct pour un arbre... en chinois on peut, c'est sa "vertu").
Si l'arbre (ou vous, ou moi) suit le chemin (Tao) de la vertu (Tê) tout est bien, et le monde prospère .
Le principe de "ne pas intervenir" signifie laisser la vertu ("Tê", la nature) suivre son cours. Attention! il ne s'agit de "la nature" au sens où nous l'entendons! Un médecin, par exemple, suivra sa "nature" (au sens chinois, celui de "vertu") en interférant avec la "nature" (à notre sens).
@laure : Hayek ("béni-soit-son-nom") classe les conservateurs et les socialistes respectivement du côté de l'ordre naturel et de l'ordre artificiel. Je me demande si la théorie du "Té" (en clair : "chacun sa place" - je me soumets d'avance à l'avis de tsvtchli sur cette exégèse) ne classe pas les taoistes du côté des conservateurs.
C'est le trouble habituel des libéraux en compagnie des conservateurs : ceux-ci plaisent à ceux-là parce que comme eux ils se méfient des aventures constructivistes. D'où ton attirance pour le "non-agir" ?
Quant à "l'immolation de soi-même", je répète, elle ne contredit pas une opinion libertarienne ! Le libéralisme n'est pas une philosophie morale ou une religion, mais une philosophie politique. Il ne traite pas des choix intimes et existentiels de chacun. Evidemment le libéralisme a des conséquences morales (j'emploie l'adjectif au sens descriptif, pas normatif). Mais il a précisément des implications dans les rapports avec nos semblables en ce qu'il leur reconnaît une sphère autonome. Dans cette sphère autonome, la philosophie politique se tait.
Sur la deuxième citation je te suis a priori. Mais on peut aussi lire "juste répartition des biens" si on entend "juste" au sens de la justice commutative (celle de l'échange marchand, entre égaux). Certes aujourd'hui "juste" est souvent employé au sens de la justice distributive (dont la "justice sociale" est la forme contemporaine). Mais ce n'est pas une raison pour bannir le mot de notre vocabulaire.
Alors Confucius pourrait encore dire à Sarkozy : "ne te soucie pas tant du nombre et des besoins des Français que des règles qui régissent leurs rapports mutuels"...
Mais je te vois déjà ironiser : "bravo le contorsionniste !"
@tsvtchli : merci pour ces précisions très intéressantes !
En écrivant "vertu" je ne faisais pas d'allusion à sa traduction du chinois. Je parlais seulement des choix moraux personnels que chacun cultive.
Donc : liberté religieuse et d'opinion pour Confucius !
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